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« Bombe atomique », « dissuasion », « course aux armements », « équilibre de la terreur » : dans l’imaginaire collectif, le vocabulaire du nucléaire militaire est étroitement associé à la guerre froide. Mieux, la dissuasion nucléaire a largement contribué à donner son nom à l’époque : le chrononyme « guerre froide » renvoie à un moment exceptionnel de l’histoire de l’humanité durant lequel, pour la première fois, deux camps ont possédé la capacité de provoquer un cataclysme planétaire mais s’efforcent de ne pas franchir le pas. Si les origines de l’opposition Est-Ouest ne sont pas directement liées aux questions atomiques mais aux conséquences de la Seconde Guerre mondiale (mésentente sur l’avenir de l’Allemagne, volonté soviétique de se constituer un glacis en Europe centrale et orientale pour se protéger d’une éventuelle revanche allemande, modèle économique à privilégier pour reconstruire l’Europe et l’Asie), la guerre froide démarre au moment où les États-Unis parviennent à se doter de « la bombe »¸ce qui assimile aussitôt le contexte géopolitique d’après-guerre à une nouvelle ère stratégique caractérisée par les nouvelles armes de destruction massive.
L’équilibre de la terreur
Les bombardements de Hiroshima et de Nagasaki, s’ils sont conçus par l’Administration Truman comme le meilleur moyen de pousser le Japon à la capitulation, sont interprétés par Staline comme un message qui lui est directement adressé : les États-Unis ne toléreront aucune initiative agressive de l’URSS. Pris de court en dépit des nombreuses informations sur le projet Manhattan transmises par les agents soviétiques déployés sur le territoire américain, Staline accélère le programme nucléaire soviétique dès 1945, confiant à Lavrenti Beria la direction du « Comité d’Etat pour le problème numéro un ». Les physiciens soviétiques, parqués dans des « villes spéciales » qui relèvent à la fois du laboratoire de recherche et du camp de concentration, subissent une pression telle que les essais de leur bombe A au Kazakhstan sont déclarés concluants dès la fin du mois d’août 1949[1]. Cet événement marque le départ de la course aux armements, les États-Unis se dotant de la bombe à hydrogène en 1952 (bombe Ivy Mike, testée sur l’atoll d’Eniwetok, dans les îles Marshall), suivis de près par les Soviétiques, en 1953.
La fin du monopole nucléaire américain change la donne stratégique dans la mesure où Washington ne dispose désormais plus de son principal moyen de pression sur Moscou. De fait, tandis que depuis 1945 les plans de guerre américains ne prévoyaient pas un conflit de haute intensité avec une URSS perçue comme une menace politique plus que militaire, l’accès du Kremlin à la dissuasion nucléaire oblige le gouvernement et l’état-major de Harry Truman à repenser la stratégie des États-Unis vis-à-vis de l’adversaire soviétique et à revoir les modalités de protection des alliés européens. Alors que la menace atomique soviétique favorise l’essor d’un imaginaire de l’apocalypse dont la science-fiction devient le principal exutoire et que la Red Scare s’empare de la vie politique américaine, l’Alliance atlantique, créée au printemps 1949, est peu à peu transformée en organisation militaire intégrée. Avec la prise du pouvoir de Mao en Chine puis le déclenchement de la guerre de Corée, les Occidentaux savent désormais que les communistes sont disposés à en venir aux armes. En 1952 et 1953, le budget militaire atteint 13 % du PNB des États-Unis ; l’Europe occidentale se couvre de bases américaines. Avec l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord, la protection des alliés du Vieux continent est assurée grâce au parapluie nucléaire, de même que le sont le Japon et la Corée du Sud, bastions des intérêts des États-Unis en Extrême-Orient. A l’inverse, la militarisation de l’OTAN en 1950 persuade Staline que la Maison Blanche prépare une attaque contre le bloc de l’Est. Les derniers mois du vieux dictateur se déroulent dans un climat de paranoïa extrême, marqué par un antisémitisme exacerbé. Toutefois, l’un et l’autre des deux camps paraissent disposés à rouvrir le dialogue.
Dès 1952, le Kremlin imagine l’instauration d’une zone démilitarisée en Allemagne, ce qui devrait permettre d’éviter les malentendus[2]. Ce type de proposition est sans cesse repris par les dirigeants soviétiques à partir du moment où les tensions s’apaisent après la disparition du « Petit Père des Peuples ». Présentés comme des outils visant à éloigner tout risque de guerre nucléaire, les différents plans de dénucléarisation de l’Europe centrale (Traité de sécurité collective en 1954, plan Rapacki de 1957, plan Gomulka de 1963…) ont surtout pour objectif le découplage euro-américain : en interdisant le déploiement d’armes nucléaires en Allemagne, on diminuerait la présence militaire américaine en Europe de l’Ouest, ce qui faciliterait l’expansion de l’influence soviétique à travers le continent[3].
Ce but désormais structurel de l’URSS, les dirigeants occidentaux l’ont bien compris, d’où le fait qu’ils repoussent systématiquement ces propositions au cours des années 1950 et 1960. Au contraire, l’Administration Eisenhower reste persuadée que seule la dissuasion peut, pour le moment, assurer la sécurité des pays de l’OTAN. La stratégie du New Look mise en place sous l’égide de John Foster Dulles privilégie ainsi le principe des représailles massives, selon lequel toute attaque sur l’un des membres de l’Alliance atlantique provoquera une réponse nucléaire américaine. Cela n’empêche pas Eisenhower, obnubilé par le risque de guerre atomique, de proposer à l’URSS l’instauration de premières mesures de confiance, à travers son projet d’Open Skyes envisageant un droit de regard sur les circulations aériennes au-dessus du territoire de l’adversaire. Nikita Khrouchtchev, qui prend seul les rênes du Kremlin en 1955, peut d’autant moins accepter pareille initiative – un refus justifié par le secret de la dissuasion – que le lancement réussi du Spoutnik en 1957 lui confère un puissant avantage stratégique qui accélère encore la course aux armements : à l’Ouest, on estime que si les Soviétiques peuvent expédier un satellite artificiel dans l’espace extra-atmosphérique, c’est qu’ils maîtrisent probablement la technologie du missile longue portée, capable de frapper directement le territoire des États-Unis. Pareille crainte contribue à mettre un terme à la relative détente Est-Ouest instaurée après la mort de Staline.
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Les dissensions internes aux blocs et la multiplication des acteurs nucléaires
Tandis que la deuxième crise de Berlin – déclenchée par Khrouchtchev en novembre 1958 dans le but de forcer les Occidentaux à quitter l’ancienne capitale du Reich – conduit les deux Grands à placer leurs forces nucléaires en état d’alerte à l’été 1961, la crise des missiles de Cuba – qui met le monde « au bord du gouffre » après que les avions espions U2 américains ont repéré des bases de lancement de missiles soviétiques sur l’île des Caraïbes – finit de convaincre les dirigeants des deux pays qu’il est temps de travailler en faveur d’une maîtrise des armements. Outre l’installation du « téléphone rouge » entre le Kremlin et la Maison Blanche, ce premier effort Est-Ouest se traduit par la signature, en 1963, du Test Ban Treaty, qui interdit les essais nucléaires dans l’eau, dans l’atmosphère et dans l’espace. A Washington, le Secrétaire à la Défense Robert McNamara estime que l’arsenal nucléaire soviétique est désormais trop important pour maintenir la stratégie des représailles massives : comme l’ont prouvé Berlin et Cuba, la moindre anicroche avec Moscou pourrait conduire au désastre. Il convient donc d’adapter l’approche américaine : la stratégie des représailles graduées doit permettre d’adapter la réponse militaire des États-Unis à toute attaque menée par l’URSS.
Ce choix américain d’utiliser les armes nucléaires seulement en dernier recours provoque une crise majeure au sein de l’OTAN. Pour le général de Gaulle, revenu au pouvoir en 1958 à la faveur de la guerre d’Algérie, mais aussi pour le chancelier ouest-allemand Konrad Adenauer, la doctrine McNamara affaiblit le principe même de la dissuasion et limite l’efficacité du parapluie nucléaire américain sur l’Europe. En cas de guerre contre l’URSS, le Vieux continent deviendrait le théâtre d’un conflit conventionnel de longue durée puisque la bombe atomique ne serait pas utilisée immédiatement si Moscou décidait d’attaquer à l’Ouest. De Gaulle en conclut qu’il est temps pour les Européens de prendre en charge leur propre dissuasion, sous la houlette du pays le plus avancé en la matière : la France.
Le programme militaire nucléaire français, inauguré en 1954 par Pierre Mendes France, a connu un premier succès technique de taille le 13 février 1960 avec l’explosion réussie de la première bombe atomique. Dans le but de compenser les effets de la nouvelle doctrine d’emploi américaine, de Gaulle promeut, auprès de ses alliés européens, une approche « tous azimuts » fondée sur une réponse immédiatement nucléaire à toute attaque contre un pays de l’Alliance atlantique. Cela passe par une tentative avortée d’accélérer la coopération militaire européenne – via le plan Fouchet de 1961 – et, surtout, par la sortie progressive de la France du commandement intégré de l’OTAN, effective au printemps 1966. En privilégiant la coopération atlantique plutôt que l’intégration, de Gaulle oblige les Américains à tenir compte des capacités et de la doctrine atomiques françaises fondées sur le maintien des représailles massives. Autrement dit, la sortie du commandement intégré est censée assurer la pérennisation du parapluie américain en Europe[4].
Inversement, au lendemain de Cuba, le Royaume-Uni, possesseur de la bombe depuis 1952, s’aligne complètement sur les États-Unis : à l’issue des accords de Nassau de décembre 1962 passés entre le président Kennedy et le premier ministre Harold MacMillan, la Grande-Bretagne perd son autonomie stratégique ; en échange d’un accès aux missiles Polaris américains, Londres n’a plus le droit de déclencher le feu nucléaire sans l’aval de Washington[5]. Au total, au milieu des années 1960, le débat sur le degré d’investissement des États-Unis dans la sécurité de l’Europe semble momentanément résolu par les décisions diamétralement opposées de la France et du Royaume-Uni. L’OTAN en sort renforcée, y compris au niveau politique avec l’adoption, en 1967, du Rapport Harmel sur les futures tâches de l’Alliance, qui réaffirme le rôle politique de l’organisation atlantique à l’heure où la détente Est-Ouest bat son plein.
Du côté soviétique, la « coexistence pacifique » avec l’Occident est d’autant plus urgente au début des années 1960 que la rupture avec la Chine populaire se fait plus profonde. Très critique envers la politique de déstalinisation instaurée par Khrouchtchev, Mao n’admet pas que le premier secrétaire du parti communiste d’URSS n’ait pas profité de la relative détente de la décennie 1950 pour s’en prendre militairement aux États-Unis. Le désaccord sino-soviétique sur l’emploi de la bombe conduit d’une part Pékin à accélérer son propre programme nucléaire – qui aboutit au premier essai réussi du point de vue technique le 16 octobre 1964 – et à redoubler de vigueur dans le Tiers-Monde pour apparaître comme la puissance de référence en termes de soutien aux mouvements révolutionnaires. Le contexte global de décolonisation ne fait en effet qu’exacerber la concurrence entre la Chine et l’URSS. À Moscou, la prise de conscience qu’un affrontement avec les États-Unis aboutirait à la destruction de l’humanité amplifie l’effort de pénétration dans les pays du Sud, là où le risque de guerre nucléaire est moindre et où les bénéfices économiques et stratégiques sont les plus avantageux.
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La maîtrise des armements et les grands accords de la détente
La pénétration communiste dans le Tiers-Monde a pour corollaire le renforcement de la doctrine américaine du containment, le Vietnam en devenant le principal champ d’application en 1964-1965. L’Administration Johnson redoute alors que la stratégie de guérilla et d’encerclement des villes par la création de foyers révolutionnaires telle qu’elle est promue par Mao, Ho Chi Minh et Che Guevara ne se répande comme une traînée de poudre à travers le monde en développement. L’investissement des deux Grands dans le Tiers-Monde enjoint ces derniers à se lancer dans de véritables négociations sur la maîtrise des armements nucléaires et conventionnels. C’est d’abord le cas avec le Traité de non-prolifération (TNP), signé en 1968, par lequel les superpuissances entendent geler le nombre de pays dotés de la bombe et garantir leur domination nucléaire, bien qu’il ait pour but immédiat de freiner les ambitions atomiques de la RFA. La même année, les États-Unis et l’URSS s’accordent pour entamer des discussions sur la réduction mutuelle et équilibrée des forces (Mutual and Balanced Forces Reduction – MBFR), qui doivent leur permettre de faire des économies sur le déploiement conventionnel en Europe. En 1972, le traité de Moscou gèle les armements stratégiques offensifs et défensifs par le biais des accords SALT (Strategic Arms Limitation Talks) et ABM (Anti-Ballistic Missile), avant que Richard Nixon et Leonid Brejnev ne signent, l’année suivante, un accord sur la prévention de la guerre nucléaire censé réduire tout risque de dérapage incontrôlé.
L’impression dominante est celle d’un condominium soviéto-américain sur la sécurité internationale et en particulier sur celle du Vieux continent, qui serait assurée sans les Européens et marginaliserait le Conseil de sécurité des Nations unies. En découle, en 1973, un refroidissement net des relations entre les États-Unis – traumatisés par leur échec au Vietnam – et leurs alliés. Ces derniers, menés par la France de Georges Pompidou, tolèrent de moins en moins les décisions unilatérales de Washington sur les affaires occidentales, à l’instar de la suspension du système monétaire de Bretton Woods et de l’élaboration d’une nouvelle Charte de l’Atlantique destinée à réaffirmer la primauté américaine au sein de l’Alliance et dans leurs relations avec le Japon. L’Ostpolitik du chancelier ouest-allemand Willy Brandt, le lancement de la Coopération politique européenne (CPE) par les six puis neuf pays de la Communauté économique européenne, la mise en place de l’Union économique et monétaire, le dynamisme des Neuf durant la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe (CSCE) et le renouveau de la politique d’armement de la France (accélération des ventes d’armes, mise en service de la force océanique stratégique) constituent autant de réponses à l’unilatéralisme pratiqué par le conseiller à la sécurité nationale, Henry Kissinger[6].
Mais cette attitude de défiance à l’égard de Washington ne va pas sans créer des tensions internationales. La multiplication des essais nucléaires atmosphériques français en Polynésie entre 1966 et 1974, pensée également comme un moyen de mettre en scène l’affirmation de la dissuasion française face aux États-Unis, ternit considérablement l’image de la France dans le Pacifique, tant auprès des populations locales que d’États riverains comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande ou le Pérou[7]. Plus largement la fin des années 1960 et les années 1970 correspondent à un important essor des mouvements anti-nucléaires, dans le sillon de la contre-culture américaine et de la révolution des mœurs. La détente ne réduit-elle pas de toute façon le risque de conflit nucléaire ? En réalité, la guerre froide s’étant déplacée vers le sud, la menace de conflit généralisé en a fait de même. Ainsi, après la guerre des Six-Jours et dans un contexte de montée en puissance de nouveaux acteurs et enjeux dans l’équilibre politique et économique mondial (question israélo-arabe, poids du nationalisme arabe dans le mouvement des non-alignés, hydrocarbures, ventes d’armes), le Moyen-Orient se bipolarise comme jamais, devenant pour quelques années le centre de gravité de la guerre froide. Le désir soviétique de se poser en champion de la cause arabe et le soutien inconditionnel des États-Unis à Israël à partir des années 1960 font de la guerre du Kippour d’octobre 1973 un conflit particulièrement internationalisé : lorsque l’Etat hébreu refuse d’appliquer le cessez-le-feu du 22 octobre 1973, l’URSS place ses forces nucléaires en alerte pour signifier son mécontentement aux Américains et démontrer son appui résolu aux Arabes. Si Israël remporte militairement cet affrontement, le choc pétrolier qui en résulte contribue à renouveler l’ordre international et, en même temps, à relancer la guerre froide.
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Des euromissiles à Gorbatchev : le dernier pic de la guerre froide
Face aux difficultés économiques engendrées par la hausse du prix des hydrocarbures, les Occidentaux – Japon compris – resserrent les rangs en créant de nouvelles instances de coopération, à l’image du G7 proposé par Valéry Giscard d’Estaing lors du sommet de la CSCE à Helsinki durant l’été 1975. La déstabilisation du flanc méridional de l’Europe sous les coups de la chute des dictatures portugaise, grecque et espagnole, de l’invasion turque de Chypre et des « années de plomb » italiennes les conduit également à renforcer leurs efforts militaires en Méditerranée et au-delà[8]. Le choc pétrolier et, avant cela, la fermeture du canal de Suez, truffé de mines, depuis 1967 ont considérablement accru l’importance stratégique de l’océan Indien et la nécessité, pour les États-Unis, de déployer des bases avancées – principalement des porte-avions – dans les mers et océans qui bordent l’Afrique afin de protéger les approvisionnements pétroliers face à l’insécurité créée par les guerres en Angola et au Mozambique et en raison du développement du terrorisme.
Le soutien soviétique aux mouvements marxistes d’Afrique australe et aux pays arabes qui refusent toute paix avec Israël (Algérie, Syrie, Irak, Yémen du Sud) est le reflet des nouvelles orientations du Kremlin à partir de 1975. Tandis que Leonid Brejnev, affaibli, a de plus en plus de mal à diriger, l’Armée rouge et le KGB reprennent la main, profitant de l’affaiblissement des économies occidentales et des rentrées d’argent produites par l’augmentation des prix du pétrole et du gaz. Considérant que, pour un pays comme l’URSS qui, depuis l’origine, a tout misé sur le développement de l’armement, les accords SALT constituent une humiliation, l’Armée rouge et le complexe militaro-industriel soviétique décident la mise au point de nouvelles armes stratégiques, les missiles à têtes multiples SS-20, déployés dans la partie occidentale de l’URSS à partir de 1976. Présentés par Brejnev comme la réponse soviétique à l’encerclement du territoire soviétique par les bases avancées américaines sur les mers et océans du monde, les SS-20 sont pensés comme un outil du découplage euro-américain. Moscou espère que l’Occident pliera sous le poids de ses pacifistes et qu’il sera incapable de déployer des missiles équivalents en Europe occidentale[9]. Si, à la fin des années 1970, les États-Unis, qui subissent encore les effets du Vietnam, donnent effectivement l’impression de ne pas pouvoir répondre à la nouvelle menace soviétique – Jimmy Carter finit par renoncer à l’élaboration de la bombe à neutrons – l’invasion soviétique de l’Afghanistan et la crise polonaise provoquent un raidissement de l’attitude américaine et le dernier pic de la guerre froide.
Tandis qu’en 1983 l’OTAN déploie les missiles Pershing-II en RFA, au Royaume-Uni, en Belgique et en Italie, l’Initiative de Défense stratégique (IDS) de Ronald Reagan met l’URSS au pied du mur : l’installation d’un système de défense anti-balistique capable de détruire un missile intercontinental ou un missile tiré depuis un sous-marin rendrait de facto obsolète l’arsenal nucléaire de l’URSS. Battu sur le terrain de la course aux armements, condamné de toutes parts dans les pays du Sud en raison de la guerre en Afghanistan, économiquement affaibli par un système à bout de souffle, le Kremlin accepte de négocier avec les États-Unis les accords de désarmement nucléaire les plus ambitieux de l’histoire de la guerre froide (Traité de Washington sur les forces nucléaires à portée intermédiaire en décembre 1987, START I en juillet 1991). Alors que la catastrophe de Tchernobyl (26 avril 1986) fournit une nouvelle preuve de l’état désastreux de l’industrie et de la science soviétiques, Mikhaïl Gorbatchev se résout à mettre un terme à l’un des fondements de l’identité de l’URSS – la priorité à l’armement –, à entreprendre un rapprochement sans précédent avec l’Occident, à abandonner la mainmise de Moscou sur l’Europe centrale et à cesser d’appuyer les mouvements révolutionnaires dans le Tiers-Monde. Pareille orientation lui vaut une popularité sans bornes à l’Ouest, mais elle conduit à l’effondrement du bloc soviétique en 1989 et à celui de l’URSS en 1991.
Sans en être directement à l’origine, les questions nucléaires ont donc constitué l’un des fils rouges de la guerre froide, dans la mesure où la possession de la bombe atomique et la nécessité d’en améliorer sans cesse les vecteurs de lancement et les effets ont guidé la compétition entre les Grands et permis à des puissances moyennes de s’affirmer dans le jeu international. Le reste du monde n’a cependant pas été épargné par ces enjeux et en a même été la principale victime, puisque si le risque d’apocalypse au Nord a déporté l’opposition Est-Ouest vers le Sud, c’est dans des territoires considérés comme appartenant à ce dernier qu’a eu lieu l’essentiel des essais nucléaires tout au long de la période.
Missiles SS-20 et Pershing II, National Air and Space Museum, Washington D.C.