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Dernière mise à jour le 09/09/2025
  • Organe judiciaire principal des Nations unies, la Cour internationale de Justice a été saisie du fait nucléaire à plusieurs reprises, y compris au sujet des essais français, sans jamais en prononcer une véritable condamnation.

Sommaire

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La Cour internationale de justice (CIJ) est l’organe judiciaire principal des Nations unies dont le rôle est de régler les différends interétatiques. Elle a eu à traiter plusieurs affaires en lien avec le fait nucléaire.

 

Présentation générale

 

La concrétisation du projet d’instituer une juridiction internationale permanente est intervenue tardivement dans l’histoire de la société internationale, la création, dans le cadre de la Société des nations (SDN), de la Cour permanente de justice internationale (CPJI) en ayant été la véritable première manifestation[1]. La CIJ s’y est substituée dans une volonté affichée de continuité : son activité a été lancée en 1946 avec un Statut identique à l’ancienne juridiction (Statut annexé à la Charte des Nations unies en tant que partie intégrante du traité), avec pour un temps les mêmes juges, et elle n’a cessé depuis de faire référence à la jurisprudence de celle qui l’a précédée[2]. À l’issue de la Première Guerre mondiale, les rédacteurs du texte de San Francisco ont fait de la CIJ un organe fort – érigé en organe principal de l’Organisation des Nations unies (ONU) – et un instrument clé du système du maintien de la paix et de la sécurité internationales.

 

Presque 80 ans après sa mise en place, la Cour de La Haye – c’est le seul des organes principaux de l’ONU à ne pas avoir de siège à New York – bénéficie d’une autorité inégalée, et son rôle dans l’interprétation et l’application du droit international est incontournable. Le bilan de sa contribution au règlement effectif des différends internationaux est toutefois mitigé, ou à tout le moins varie-t-il considérablement selon les affaires :  notoire pour certaines d’entre elles, notamment en matière de délimitation territoriale, il reste beaucoup plus critiquable pour d’autres, comme celles portant sur le fait nucléaire. Composée de 15 juges élus pour un mandat de neuf ans par l’Assemblée générale des Nations unies et le Conseil de sécurité, elle possède deux types distincts de compétences. Dans le cadre de sa compétence contentieuse, elle rend des arrêts de portée obligatoire afin de résoudre des différends entre Etats conformément au droit international. Dans le cadre de sa compétence consultative, elle est en mesure de rendre des avis, qui, bien que dénués de force obligatoire, constituent d’importances références en matière d’interprétation du droit international.

 

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La CIJ et le fait nucléaire

 

La Cour de La Haye ayant une vocation générale, elle est amenée à traiter d’aspects variés du droit international parmi lesquels la question nucléaire est peut-être celle ayant laissé le plus de frustrations et de tensions dans son sillage. Celle-ci fut soulevée au cours de trois procédures apparaissant comme autant de rendez-vous manqués et qui seront ici traitées chronologiquement. En 1974, l’intervention de la CIJ dans l’affaire des essais nucléaires (Australie c. France ; Nouvelle-Zélande c. France) n’a pas permis d’apaiser les tensions entre les acteurs concernés. Elle a même contribué à les aggraver en même temps qu’elle a insufflé un revirement dans les relations entre la Cour et la France, cette dernière s’étant en réaction retiré de la clause facultative de juridiction obligatoire[3]. Dans les années 1990, la réponse des juges internationaux à la question générale de la licéité du recours à l’arme nucléaire déçoit encore, tandis que la Nouvelle-Zélande demande sans succès un nouvel examen de l’arrêt de 1974 à la suite de la reprise par la France des essais souterrains. Enfin, en 2014, les Îles Marshall, où ont eu lieu des essais américains entre 1946 et 1958, décident en vain de poursuivre neuf États pour leur absence de désarmement dans le cadre d’une procédure contentieuse pour laquelle la Cour se déclara incompétente.

 

L’affaire des essais nucléaires (Australie c. France ; Nouvelle-Zélande c. France)

 

Les essais nucléaires français dans le Pacifique, en plus de contribuer à l’image d’une puissance coloniale arrogante dans la région, ont eu pour effet de judiciariser les relations franco-australiennes et néo-zélandaises, d’ailleurs peu consolidées à l’époque, et de les conduire jusqu’à leur point de rupture. En 1973, constatant l’échec des canaux diplomatiques, les deux puissances australes portent leur différend avec la France devant la CIJ dans l’espoir de voir le juge international condamner les essais.

L’Australie et la Nouvelle-Zélande introduisent à l’époque deux requêtes distinctes contre Paris au sujet des essais nucléaires menés dans l’atmosphère. Celles-ci sont assorties de deux demandes en indication de mesures conservatoires – c’est-à-dire du prononcé de mesures d’urgence – pour au moins suspendre les essais jusqu’à ce que le fond soit jugé. Les deux États soutiennent en substance que les agissements de la France constituent une violation du droit international, notamment une violation de leur souveraineté territoriale du fait des retombées radioactives sur leur territoire[4], en même temps qu’elles violent le droit des États et de leurs habitants à ne pas être exposés à des retombées radioactives[5]. En outre, les essais menés auraient selon eux entravé la liberté de navigation en haute-mer[6].

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La CIJ ne s’est finalement jamais prononcé sur le fond. Elle rend d’abord deux ordonnances d’indication en mesures conservatoires donnant satisfaction aux demandeurs[7], lesquelles n’ont pourtant pas été suivies d’effets immédiats, la France ayant poursuivi son programme nucléaire et allant même jusqu’à faire exploser une bombe le 7 juillet 1974 pendant les plaidoiries sur la compétence et la recevabilité[8]. La juridiction rend ensuite deux arrêts sur le fond concluant que les différends étaient désormais privés de leur objet[9]. Elle se fonde pour ce faire sur plusieurs déclarations publiques des autorités françaises (y compris du Président de la République) desquelles résultaient selon elle un engagement unilatéral obligeant juridiquement ces dernières à se tenir à cette promesse de ne plus réaliser d’essais[10]. Les juges ont ainsi opéré un utile éclaircissement de la notion d’acte unilatéral, qui sert depuis de référence aux internationalistes, mais ces deux arrêts sans unanimité (9 voix contre 6 pour chacun d’eux) n’ont pas permis en tant que tels de pacifier les relations, ni de condamner les essais nucléaires. L’obstination de la France à ne pas participer à l’instance a évidemment contribué à ce fiasco. Paris choisit d’ailleurs au même moment, en conséquence de cette affaire, de retirer sa déclaration reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour : au titre de l’article 36§2 du Statut de la CIJ, les États parties peuvent en effet reconnaître la compétence générale de la Cour universelle, à défaut de quoi leur consentement à ce que les différends qui les concernent soit soumis à la Cour ne peut s’exprimer que dans une convention spécifique ou à propos d’une affaire en particulier une fois l’existence du différend avérée. La France n’est depuis jamais revenue sur cette décision.

 

L’affaire des essais nucléaires était alors loin d’être terminée. Dix ans après surgissait l’affaire du Rainbow Warrior, réglée à grands coups d’efforts diplomatiques, de médiation et d’arbitrage[11]. Cinq ans plus tard, le moratoire décidé en 1992 par François Mitterrand et renouvelé en 1992 est rompu, donnant lieu à un énième rebond judiciaire. L’annonce par Jacques Chirac d’une nouvelle campagne d’essais, la dernière cette fois, provoque la réaction des autorités néo-zélandaises. Celles-ci demandent en 1995 un examen de la situation que la CIJ refusera, l’arrêt de 1974 faisant selon elle clairement référence aux seuls essais atmosphériques et non pas souterrains[12]. Elle botte donc de nouveau en touche. En juin de la même année, Wellington et Canberra gèlent leurs relations de défense avec Paris, marquant un point culminant de la crise des relations bilatérales avec la France[13]. Il faudra comme on le sait attendre la fin des essais pour qu’un nouveau chapitre puisse s’ouvrir, que le Traité d’interdiction complète des essais (TICE) soit adopté en 1996 (la France le ratifie en 1998, mais le traité n’est toujours pas entré en vigueur), et que le CEP soit démantelé.

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La demande d’avis relative à la licéité du recours aux armes nucléaires

 

L’article 96 de la Charte des Nations unies autorise l’Assemblée générale ou le Conseil de sécurité à solliciter la CIJ sur des questions juridiques[14]. C’est aussi le cas, sur autorisation de l’Assemblée générale, des autres organes et institutions spécialisées qui peuvent demander l’avis de la Cour « sur des questions juridiques qui se poseraient dans le cadre de leur activité[15] ». Les avis consultatifs de la CIJ n’ont pas de portée obligatoire, mais n’en sont pas pour autant dénués de valeur juridique. Ils sont dotés d’une incontestable autorité et font office de références dans l’interprétation du droit. Ils sont aussi susceptibles de se convertir en utiles instruments de négociation pour les États. L’usage de la procédure consultative autour du fait nucléaire aurait ainsi pu être beaucoup plus prolifique, mais donna finalement lieu à une réponse bien décevante, en partie due à la – trop grande – généralité de la question posée, mais aussi probablement à l’énorme controverse autour du dossier, du fait de son caractère sensible.

 

L’Organisation mondiale de la santé (OMS), pressée par plusieurs organisations non gouvernementales (ONG), est la première à déposer sa demande au greffe, le 3 septembre 1993, afin d’interroger la Cour sur la licéité du recours aux armes nucléaires dans le cadre des conflits armés, compte tenu de leurs effets sur la santé et l’environnement. La CIJ ne donnera pas suite à cette sollicitation, considérant que la question n’entre pas dans le cadre de l’activité de l’Organisation et que, par conséquent, elle ne répond pas aux exigences de l’article 96 du Statut[16]. L’Assemblée générale, cherchant à parer cette issue, avait elle-même déposé une autre demande le 6 janvier 1995, par laquelle elle interrogeait la Cour de façon encore plus générale sur la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires au regard du droit international. C’est à cette question que répond la CIJ de façon peu affirmée dans son avis du 8 juillet 1996, reconnaissant en résumé que l’usage de telles armes, n’est ni licite ni illicite au regard du droit international en vigueur[17], à moins de s’inscrire en contradiction avec les articles 2 et 51 de la Charte (portant respectivement sur l’interdisant le recours à la force et l’exception de la légitime défense). La réponse n’en est pas pour autant dénuée d’intérêt, et certains passages du raisonnement juridique sont restés célèbres. Elle demeure néanmoins emblématique de l’embarras des juges. Ceux-ci se sont accordés à l’unanimité sur l’absence d’autorisation spécifique en droit des armes nucléaires, sur le nécessaire respect des articles 2 et 51 de la Charte et sur la nécessité de poursuivre de bonne foi les négociations menant à terme au désarmement nucléaire. En revanche, c’est par 11 voix contre 3 qu’ils reconnaissent l’absence d’une interdiction complète, et c’est par 7 voix contre 7 par voix prépondérante du Président, qu’ils jugent que « la menace ou l’emploi d’armes nucléaires serait généralement contraire aux règles du droit international applicable dans les conflits armés, spécialement celles des principes et règles du droit international humanitaire » et celles des traités spécifiques.

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La demande des Îles Marshall

 

La dernière tentative en date pour faire parler le juge international dans le but de condamner le fait nucléaire s’est encore conclue par un échec. Le 24 avril 2014, les Îles Marshall déposent des requêtes contre 9 États pour manquements à leurs obligations de désarmement et leurs obligations à négocier de bonne foi la fin de la course aux armes nucléaires, au regard du droit international coutumier et de l’article VI du Traité de non-prolifération (TNP)[18]. Néanmoins, dans cette liste, les accusations contre les États-Unis, la France, la Chine, la Russie, la Corée du Nord et Israël, tous dotés de l’arme, impliquaient que le consentement de ces États à soumettre un tel différend devant la Cour fût donné. Leur refus à le faire était prévisible. La chose était différente pour l’Inde, le Pakistan et le Royaume-Uni, pays également dotés de la bombe, tous trois ayant reconnu la juridiction obligatoire de la CIJ. Celle-ci se déclara pourtant incompétente en l’absence, selon elle, d’un différend existant entre les Îles Marshall et ces États, donnant raison aux demandeurs sur les exceptions préliminaires soulevées. Les décisions d’incompétences ne firent toutefois pas l’unanimité (9 juges contre 7 pour l’Inde et le Pakistan, 8 contre 8 pour le Royaume-Uni).

L’instruction aura eu le mérite de rendre plus visible le combat mené par l’archipel micronésien, le véritable enjeu résidant dans les compensations que ses habitants cherchent à obtenir de la part des États-Unis pour les dommages causés par les 67 essais menés entre 1946 et 1958 sur les atolls de Bikini et d’Enewetak, l’accord existant en la matière étant considéré insuffisant.

  • Bibliographie

    B. Bollecker-Stern, « L’affaire des essais nucléaires devant la Cour internationale de Justice », AFDI, vol. XX, 1974, p. 299-333.

    V. Coussirat-Coustère, « La reprise des essais nucléaires français devant la Cour internationale de Justice (Observations sur l’ordonnance du 22 septembre 1995) », AFDI, vol. XLI, 1995 p. 354-364. 

    B. Grémare, « L’affaire de l’obligation au désarmement nucléaire. À propos de l’arrêt de la Cour Internationale de Justice de 2016 », Civitas Europa, n° 44, 2020/1, p. 151-168.

    P. M. Eisemann et P. Pazartzis, La jurisprudence de la Cour internationale de Justice, Pedone, 2008.

    J.-L. Iten, R. Bismuth, C. Crépet Daigremont, G. Le Floch et A. de Nanteuil, Les grandes décisions de la jurisprudence internationale, Dalloz, 2018.

     

  • Sources

    Journal officiel du Sénat
    Recueils publiés de la CIJ, 1973, 1974, 1986, 1996.