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Dernière mise à jour le 02/04/2025
  • John Teariki est le principal opposant à l’installation du CEP en Polynésie française dans les années soixante. Il a pris la succession de Pouvanaa a Oopa, exilé en France. Grâce à la plume acerbe de son beau-frère Henri Bouvier, il fustige les essais français et leurs conséquences sur la santé et l’environnement. Il fut l’un des seuls Polynésiens à oser défier le général de Gaulle dans son fameux discours du 7 septembre 1966 pour demander le retour de Pouvanaa a Oopa et l’arrêt des essais nucléaires français dans le Pacifique.

Sommaire

Mots-clefs

Noms communs : autonomieCEPdéputéhomme politique

Autrices / Auteurs

Dimitri Léontieff
Dimitri Léontieff
Professeur de Lettres-Histoire à l’École hôtelière de Tahiti, Te Parepare

Professeur de Lettres-Histoire à l’École hôtelière de Tahiti, Te Parepare. Licencié en sciences humaines – Université française du Pacifique, titulaire d’une maîtrise d’histoire de l’Université Michel de Montaigne – Bordeaux III – John Teariki, un héritier de Pouvanaa ? Groupe de travail sur l’adaptation des programmes en HG-EMC – La construction de l’autonomie dans le cadre de la République (CAP – Bac pro). Groupe de travail sur l’enseignement du fait nucléaire en Polynésie française.

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Introduction

Moins connu et reconnu que Pouvanaa a Oopa, John « French » Mahuru Teariki est une figure emblématique de la lutte anti-nucléaire des années 1960. Son fameux discours au général de Gaulle, le 7 septembre 1966, a marqué les esprits et l’histoire contemporaine de la Polynésie française. S’il a été conseiller territorial, chef de district, maire de Mo’orea, président de l’Assemblée territoriale, député, fidèle de Pouvanaa a Oopa, John Teariki était avant tout un agriculteur, et le travail de la terre lui procurait bien plus de satisfaction que les honneurs liés à ses fonctions politiques dont il aimait s’éloigner.

Un ancrage politique et social ancien

Né à Mo’orea le 12 juillet 1914, cet homme de la terre et de la mer était agriculteur, pêcheur et armateur.

Son grand-père paternel est pasteur. Son père, originaire de Rimatara aux Australes, est élevé aux Îles Cook où il fut connu sous le nom de Teariki, « le roi », patronyme ayant son influence dans les conditions de l’ascension politique de John Teariki : « quand on ajoute à cela le fait qu’on revient de Rarotonga et qu’on en ramène une appellation flatteuse (te ari’i, le roi), on concentre sur soi, et vis-à-vis de ses compatriotes, une bonne dose de prestige qui donne autorité sur autrui » [1]. Sa famille a acquis « des fonctions dans le nouvel ordre qui s’établit après la chute de l’ancienne société tahitienne (instituteur, pasteur, tāvana [2]) »[3]. Son père décède des suites de la grippe espagnole en 1918 alors qu’il n’a que quatre ans. Sa mère, Mama Hapoto est descendante d’un ’īato’ai[4] du district d’Afareiatu[5] et l’histoire des Hapoto recèle une grande consistance dans l’histoire du district. 

En recevant une éducation à Pape’ete au collège protestant Pomare IV, il se démarque de la majorité de la population de son district et s’ancre davantage dans cette classe moyenne de propriétaires fonciers de l’île de Mo’orea. À quatorze ans, il doit revenir dans son fief familial pour subvenir aux besoins de sa famille. Très tôt, il apprend la valeur du travail et le respect de la nature dont il tirait sa nourriture. Il cultive du fē’ī [6], du taro[7], de la vanille et produit du coprah. Il pêche également de la bonite et en vend à Pape’ete. Cela l’amènera plus tard à se lancer dans une des premières entreprises de cabotage entre Mo’orea et Pape’ete. Dans un entretien à Claude Robineau, John Teariki explique « comment le surplus, acquis à la génération précédente et accru à sa propre génération, s’est transformé en pouvoir, comment le pouvoir a aidé à naitre et à se développer de nouvelles entreprises, elles-mêmes génératrice d’une nouvelle accumulation »[8].

La culture de John Teariki est avant tout biblique, la Bible est son livre de chevet, « le seul livre de la plupart des foyers ». Pour Bruno Saura, « les missionnaires protestants ont parfaitement réussi à transformer la culture tahitienne. La projection des Polynésiens dans l’histoire biblique est une chose fascinante et l’assimilation des Tahitiens au peuple d’Israël est une des clés de base du discours politique » [9].

Fervent protestant, entrepreneur, chef d’une famille influente et respectée de Mo’orea, John Teariki ne tarde pas à être sollicité par son entourage pour entrer dans l’arène politique aux côtés de celui avec qui il partage les mêmes valeurs, Pouvanaa a Oopa.

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Un engagement aux côtés de Pouvanaa a Oopa

Il adhère au Rassemblent Démocratique des Populations Tahitiennes [10] de Pouvanaa a Oopa en 1949 alors que celui-ci cherchait un représentant à Mo’orea. Le discours du Metua[11] ne peut que le séduire puisqu’ « il disait vouloir lutter pour l’amélioration du niveau de vie du monde rural et contre les trop criantes inégalités »[12]. John Teariki aurait dit à Henri Bouvier, son beau-frère et conseiller : « C’est un combat juste que Pouvanaa mène, c’est pour le bien du pays »[13].

Premier chef de section RDPT de Mo’orea, John Teariki est élu conseiller à l’Assemblée territoriale en janvier 1953 alors que le parti de Pouvanaa remporte largement les élections avec dix-huit sièges sur vingt-cinq. 

Le RDPT est, depuis 1949, un mouvement politique en pleine ascension : « Le monde tahitien, jusqu’alors écarté de la vie politique et des affaires, le plus souvent pauvre et sans grande instruction, et qui a trouvé en Pouvanaa l’homme qui, enfin, le représente parce que sortant de ses rangs » [14]. Même si John Teariki fait partie de cette bourgeoisie terrienne de Mo’orea, il se distingue de cette « minorité plus ou moins privilégiée de la ville »[15] en majorité « demie »[16], se rattachant davantage à des valeurs occidentales. Il « admire un homme : Pouvanaa a Oopa, farouche adversaire du centralisme métropolitain. Il est alors à l’aube de sa carrière politique »[17].

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En avril 1953, il devient chef du district d’Afareiatu. Il détient son fief, il offre au RDPT un appui à Mo’orea et dispose désormais d’une base populaire qui facilite son ascension politique. Il sera maire de Mo’orea de 1972 à 1983.

L’héritier de Pouvanaa a Oopa

Après l’arrestation, la condamnation et l’exil forcé de Pouvanaa a Oopa, la question de la succession du Metua se pose au sein du RDPT. Les origines rurales de John Teariki, ses valeurs attachées aux traditions, il les partage avec la majeure partie de ce qui fait l’électorat pouvaniste. Il est à l’image du peuple, à l’image de Pouvanaa. Ce n’est pas un hasard si John Teariki prononce son oraison funèbre. Il est aux yeux de la population celui qui peut exprimer le mieux, dans la même langue, avec la même conviction, avec la même empreinte religieuse, les idées du Metua.

Le 5 novembre 1963, le gouverneur dissout le RDPT en se basant sur la loi du 10 janvier 1936 qui est « appliquée pour dissoudre les associations ou groupements qui auraient pour but de porter atteindre à l’intégrité du territoire national par le ministre de la France d’Outre-mer sur conseil du gouverneur » [18].

Après cette dissolution, les cadres du mouvement pouvaniste cherchent à remettre en place un parti. Des précautions juridiques doivent être mises en place pour ne pas tomber sous le coup d’une condamnation pour reconstitution de ligue dissoute. Les cadres, chacun de leur côté, font appel à des juristes pour rédiger de nouveaux statuts. Des versions discordantes existent sur la naissance du Here Ai’a [19], « l’enfant du RDPT » selon les termes de Jean Juventin, cadre historique du parti rose et ancien maire de Pape’ete[20]. John Teariki et d’autres cadres n’apparaissent pas au premier plan du parti qui va naître. Les services de l’État les surveillent de près.

Les statuts sont déposés le 9 février 1965 par un proche de John Teariki. Il est devenu le leader incontesté du Here Ai’a en l’absence de Pouvanaa : « Celui-ci dans son exil, accepte tous les témoignages de sympathie, encourage toutes les initiatives en sa faveur, d’où qu’elles viennent, et ne désavoue aucun de ceux qui se réclament de lui. Mais il sait subtilement marquer ses préférences, et Teariki est reconnu par la base comme son porte-parole privilégié » [21].

La députation : une tribune contre le CEP

Le 14 juillet 1961, John Teariki devient député de la Polynésie française après le décès du fils de Pouvanaa a Oopa dont il était le suppléant. Il accueille sans enthousiasme sa nomination et selon sa femme : « Il était fiu [22] d’aller à Paris pour son mandat de député, il n’avait qu’une hâte, c’était de rentrer… Lorsqu’on était à Paris, il ne voulait pas rester trop longtemps… »[23]. Ce statut de député lui assure cependant un rôle de plus en plus important au sein de son parti et dans la vie politique locale.

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Le 2 décembre 1962, il est élu personnellement député et s’apparente au groupe du « Centre démocratique » à l’Assemblée nationale. Il est membre de la Commission de la Défense nationale et des forces armées. C’est à l’occasion de chaque session annuelle concernant le vote du budget militaire que John Teariki intervient à la tribune du Palais Bourbon, lisant les discours acerbes et bien documentés que lui préparait son beau-frère, Henri Bouvier [24].

En janvier 1963, il fait partie de la délégation polynésienne qui se rend à Paris pour demander une aide économique à la France en raison de la chute des cours de coprah, de nacre et de phosphate, principaux revenus du Territoire [25]. De Gaulle, qui les reçoit, annonce aux élus polynésiens l’implantation du Centre d’essais qui résoudra les problèmes budgétaires du Territoire[26]. C’est à son retour qu’Henri Bouvier l’informe des dangers des essais nucléaires dont il n’avait pas encore conscience[27]

Dans sa question préalable du 16 mai 1963 à l’Assemblée territoriale, John Teariki dénonce les risques liés aux retombées radioactives en évoquant l’accident lors d’un essai aérien des États-Unis à Bikini, aux Îles Marshall, en mars 1954. Le gouverneur le convoque et prévient l’Assemblée que l’initiative de John Teariki « touche au domaine de la Défense nationale, de la seule compétence du Gouvernement, du Parlement de la métropole… Elle excède les pouvoirs de l’Assemblée territoriale » [28]. Il retire sa question préalable et porte sa protestation à l’Assemblée nationale.

Le jeudi 7 novembre 1963, John Teariki prend la parole au Palais Bourbon : « La Polynésie est en voie de devenir un immense champ d’expériences, un gigantesque camp militaire où la population civile n’aura plus qu’à subir en silence le sort que nos savants et nos militaires lui ont réservé. (…) Le polynésien demeuré jusqu’ici solidement implanté sur sa terre et ses lagons, se verra déraciné parce que l’attrait d’un gain assuré l’attirera sur les chantiers militaires ou aux environs des bases navales et aériennes : la prolétarisation de la population sera accélérée. Des bidonvilles apparaîtront où les Polynésiens achèveront de s’abrutir avant de disparaître » [29].

En 1965, il signe, avec Jean Rostand, cofondateur et président d’honneur du Mouvement contre l’armement atomique et Albert Schweitzer, une Protestation solennelle contre le sort que le Gouvernement français a décidé d’imposer aux habitants de la Polynésie française et autres territoires du Pacifique par les essais nucléaires français à Moruroa [30].

Avec Albert Schweitzer, il entretient une correspondance « pour lui demander des conseils pour construire son argumentaire contre les essais. Il lui envoie beaucoup de documentation et le mets en contact avec des militants en métropole et aux États-Unis » [31]. John Teariki lui confie aussi que Jacques Foccart, qui voyait en lui un extrémiste, lui aurait demandé de modérer ses propos et d’accepter l’installation du CEP. Il accuse le député de faire du sécessionnisme et de mener une campagne non pas contre le CEP mais contre la France[32].

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Grâce à Henri Bouvier, John Teariki s’est forgé un réseau international qui lui a fourni les arguments nécessaires à sa lutte anti-nucléaire, le soutien de militants transnationaux et une légitimité scientifique.

Un certain 7 septembre 1966

Le 6 septembre 1966, le général de Gaulle arrive à Tahiti et doit ensuite assister à l’explosion de la troisième bombe atomique à Moruroa. Le lendemain, comme le veut le protocole, il reçoit les plus hautes instances du Territoire. Il accueille, vers neuf heures, John Teariki dans les bureaux des services de l’Etat. Les Nouvelles de Tahiti indiquent que le député évoque trois sujets importants à ses yeux : le statut du Territoire, le retour de Pouvanaa a Oopa et le CEP. « J’ai rappelé au général de Gaulle que le roi Pomare au siècle dernier avait gardé les droits constitutionnels de son peuple, que Tahiti avait le droit à l’autodétermination et qu’aux termes de l’article 73 de la Charte des Nations Unies, la France est obligée de respecter les aspirations politiques du peuple tahitien » [33].

Pour Francis Sanford, cette entrevue « demeurera comme l’un des grands moments de la lutte des Polynésiens pour la conquête des libertés qui leur sont dues » [34].

Deux version contradictoires existent à propos de cette entrevue. Selon Henri Bouvier, qui a écrit ce fameux discours [35], John Teariki entre dans la pièce où de Gaulle recevait les personnalités et après les salutations de circonstance, il sort le texte de sa poche et entame sa lecture. Selon lui, le Général aurait bondi de son siège et tenté de mettre fin à la lecture du député, impassible. Forcé d’interrompre son exposé, le député aurait remis son discours au président avant de sortir de la pièce.

Selon Bengt et Marie-Thérèse Danielsson : « Aussitôt les salutations et les serrements de mains terminés, Teariki sort son texte et commence à lire d’une voix ferme ce véritable inquisitoire ». Rien de différent de la version d’Henri Bouvier jusque-là. Mais ils affirment ensuite qu’ « arrivé à la fin, John Teariki tend le texte de son discours au Général. Celui-ci le met dans sa poche sans commentaire, prend très courtoisement congé du député et rejoint promptement les conseillers dans la salle voisine » [36]

Jacques Foccart écrit : « Un entretien avec Tera (Teariki) a été ce qu’on peut penser, c’est-à-dire que Tera a lu au Général une espèce de mémorandum qui avait été préparé par je ne sais trop qui, certainement pas par lui, mémorandum qui protestait contre l’explosion atomique et qui parlait des revendications des Tahitiens » [37].

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John Teariki commence ainsi son allocution : « Il y a dix ans, Tahiti avait l’insigne honneur de recevoir votre première visite. Vous n’étiez plus, alors, qu’un simple citoyen mais vous demeuriez, pour beaucoup de Français, l’un des plus grands d’entre eux. Pour nous, Polynésiens, qui fûmes, autrefois, parmi les premiers à répondre à votre appel pour maintenir la France aux côtés de nos alliés dans le camp de la liberté, vous étiez resté non seulement le chef prestigieux de la France libre, mais aussi – et surtout – l’homme qui, à Brazzaville, avait, pour la première fois, parlé d’égalité et de liberté, c’est-à-dire d’évolution politique et d’autodétermination aux peuples colonisés par la France » [38].

Il évoque la situation économique et sociale inquiétante de la Polynésie, la situation à Djibouti où le Général reconnaissait le droit de la population à l’autodétermination et à l’indépendance puis en vient au Metua : « Point particulièrement douloureux de notre contentieux, le sort de notre ancien député, Pouvanaa a Oopa, pèse toujours d’une lourde amertume sur le cœur des Tahitiens. Depuis sa condamnation, les évènements qui se sont succédés ici – et d’ailleurs – ont mis en évidence le caractère politique de l’ « affaire » qui le mena à la prison et à l’exil ». Il rappelle que l’Etat fait tout pour éloigner Pouvanaa de la Polynésie car il craint l’influence de ce « vieillard vénéré de tous les Polynésiens (…) Le crime de Pouvanaa serait-il de ne pas avoir versé le sang ? ». Les manifestations de Djibouti avaient fait 4 morts et 70 blessés.

Il finit par aborder le sujet du CEP : « La création de cet organisme et son installation chez nous sans que, d’aucune façon, les Polynésiens n’aient été consultés préalablement à ce sujet, alors que leur santé et celle de leurs descendants étaient en jeu, constituent de graves violations du contrat qui nous lie à la France et des droits qui nous sont reconnus par la Charte des Nations Unies. Votre propagande s’efforce de nier l’évidence en prétendant que vos explosions nucléaires et thermonucléaires ne comportent aucun danger pour nous. Je n’ai ici, le temps de réfuter toutes les contrevérités qu’elle débite ».

Il conclut ainsi : « Puissiez-vous, Monsieur le Président, appliquer en Polynésie française les excellents principes que vous recommandiez, de Phnom Penh, à nos amis américains et rembarquer vos troupes, vos bombes et vos avions. Alors, plus tard, nos leucémiques et nos cancéreux ne pourraient pas nous accuser d’être l’auteur de leur mal. Alors la Polynésie unanime serait fière d’être française comme aux jours de la France Libre ».

Cette diatribe résonne jusqu’aux oreilles des militants anglo-saxons qui louent le courage du député polynésien, et en 1967, un article de J. W. Davidson lui est consacré dans The Journal of Pacific History : The submission of John Teariki [39]. Plus récemment, ce discours est popularisé par la pièce de théâtre « Les champignons de Paris » d’Emilie Genaedig et la bande dessinée « Au nom de la bombe » d’Albert Drandov et Franckie Alarcon. Il demeure un moment fort de la lutte contre les essais nucléaires français dans le Pacifique.

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L’indépendance, un épouvantail contre le CEP ?

À plusieurs reprises, John Teariki a brandi la menace de l’indépendance dans son combat contre le CEP et pour une évolution statutaire. D’abord en 1973, après l’épisode du Bataillon de la Paix, lorsqu’il encourage le sénateur Pouvanaa et le député Francis Sanford à co-signer plusieurs lettres dans lesquelles ils affirment qu’ils demanderons l’indépendance si la France poursuit ses essais nucléaires, en sollicitant une intervention des Nations Unies [40]. Ensuite en 1975, quand le secrétaire d’État aux Départements et territoires d’outre-mer, Olivier Stirn, affirme : « L’autonomie interne consisterait à donner un chèque en blanc au Territoire et je m’y refuse »[41] alors qu’il avait promis « un statut tellement libéral qu’au-delà se serait l’indépendance »[42]. John Teariki, très amer, menace alors : « jusqu’à présent, je nous voulais pas de l’indépendance, mais si le gouvernement impose la régionalisation, je vous le dis ce soir, il n’y aura pas d’autre moyen que de réclamer l’indépendance »[43].

En 1978, alors qu’il est président de l’Assemblée territoriale, John Teariki affirme que « l’indépendance est dans le sens de l’Histoire. Quoi qu’il en soit, il est vital qu’elle soit réfléchie, concertée, mûrie, en un mot qu’elle soit entièrement et profondément préparée. Il n’est pas nécessaire d’y arriver dans le désordre et le chaos. Il faut que tous en soient pleinement conscients » [44]

Simone Teariki, la femme du député, relate un échange avec son époux au sujet de l’indépendance : « Tony (le surnom de John Teariki) réfléchissait beaucoup avant de prendre une décision. Je lui ai posé la question : « Tu crois à l’indépendance ? » Il me répondit : « C’est bien pour le Tahitien, le Tahitien qui a sa terre et peut vivre grâce à elle, mais depuis l’arrivée du CEP, c’est trop tard, que vont devenir ces jeunes venus des îles à Tahiti, dans une société où l’argent devient trop facile ? » Le problème des méfaits sociaux issus de l’implantation du CEP est une chose que Tony avait beaucoup à cœur » [45].

Selon John Teariki, le développement de nouveaux besoins éloigne progressivement la perspective de l’indépendance. L’indépendance immédiate serait, à ses yeux, encore envisageable en 1975. Il précise sa pensée lors d’une interview accordée à Éric Monod, qui fut aussi son attaché parlementaire, pour Les Nouvelles de Tahiti : « Si je pouvais parler d’indépendance aujourd’hui, il faudrait qu’elle ait lieu tout de suite, car nous sommes encore capables d’en supporter les conséquences. Dans quelques années, il sera trop tard. Voyez-vous, sans l’indépendance économique, l’indépendance politique n’est qu’un mot en l’air. Depuis vingt ans, avec l’introduction du CEP-CEA et le développement d’une administration qui emploie beaucoup de Polynésiens et les paie bien, on a créé en Polynésie un certain nombre de besoins, dont nous sommes maintenant prisonniers. Indépendance voudrait dire : changer de mode de vie ; et combien d’entre nous sont prêts à le faire ? » [46].

Le statut d’autonomie est adopté à l’unanimité le 7 juin 1977 par l’Assemblée territoriale et validé par le conseil des ministres le 15 du même mois. Les compétences du Territoire sont énumérées et le reste revient à l’État français. Très vite, John Teariki souhaite une évolution de ce statut et il participe en 1981 à une commission chargée de la refonte du statut d’autonomie dans le cadre du mouvement de décentralisation. Cependant, celle-ci est moins audacieuse que celle proposée par Gaston Flosse. Les élections portent au pouvoir le Tahoera’a Huira’atira [47] en 1982 et son leader obtient de François Mitterrand l’autonomie interne en 1984. Désormais, ce sont les compétences de l’État qui sont énumérées, essentiellement régaliennes, le reste revenant à la Polynésie française.

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John Teariki passe de plus en plus de temps sur son exploitation agricole de Taravao et la politique n’est pas sa priorité. Il décède dans des conditions tragiques en 1983, la herse de son tracteur, renversé sur lui, ayant enfoncé sa cage thoracique. Son enterrement rassemble plus de 2000 personnes, preuve de l’empreinte qu’il a laissé dans l’histoire de la Polynésie française.

Conclusion

Cet homme de la terre a toujours revendiqué l’émancipation des siens. Mais son discours s’est adapté selon les circonstances. Lorsqu’il débute sa carrière politique aux côtés de Pouvanaa, il est favorable à l’indépendance. Lorsque la notion d’autonomie apparaît dans le discours politique, il s’y résout et entrevoit cette option comme une étape avant l’indépendance. Il continue cependant de brandir la menace d’une indépendance immédiate pour protester contre les essais nucléaires. Dans les années 1970, il mène le combat pour l’autonomie avec Francis Sanford. Alors qu’une nouvelle génération d’hommes politiques comme Gaston Flosse émerge, son influence et son implication politique s’estompent. Après sa mort, disparaît une façon de revendiquer les particularismes polynésiens.

  • Bibliographie

    • Bengt et Marie-Thérèse Danielsson, Moruroa, notre bombe coloniale, L’Harmattan, Paris, 1993.
    • Le Bataillon de la Paix, Ouvrage collectif, Buchet/Castel, Paris, 1974.
    • Jacques Foccart, Le Général en mai. Journal de l’Elysée 1968-1969, tome II, Fayard – Jeune Afrique, 1998.
    • Aimé-Louis Grimald, Gouverneur dans le Pacifique, Berger-Levrault, Paris, 1990
    • Dimitri Léontieff, John Teariki, un héritier de Pouvanaa ? Mémoire de maîtrise, Université de Bordeaux III, 2000.
    • Dimitri Léontieff, « John Teariki : la fin d’une certaine conception de l’autonomie », Jean-Marc Regnault, dir., François Mitterrand et les territoires français du Pacifique (1981-1988), Mutations, drames et recompositions, Enjeux internationaux et franco-français, Indes Savantes, Paris, 2003.
    • Michel Lextreyt, « Il y a trente ans : la loi-cadre Defferre », BSEO, décembre 1986, n°237.
    • Clémence Mallochon, Les réseaux de militantismes contre les essais nucléaires français. Doctorat en histoire contemporaine, Université de Haute-Alsace, CRESAT, 2023.
    • Philippe Mazellier, De l’atome à l’autonomie, Tahiti, 1984.
    • Jean-Marc Regnault, Histoire politique et institutionnelle des Etablissements français de l’Océanie et de la Polynésie française : 1945-1992, thèse de doctorat, Université française du Pacifique, Tahiti, 1994.
    • Jean-Marc Regnault, La bombe française dans le Pacifique. L’implantation : 1957-1964, Papeete, Scoop, 1993.
    • Claude Robineau, Tradition et modernité aux îles de la Société, Livre I, Du coprah à l’atome, Editions de l’Office de la Recherche Scientifique et Technique d’Outre-Mer, collection Mémoire n°100, Paris, 1984.
    • Bruno Saura, Politique et religion à Tahiti, Scoop, Tahiti, 1993.